En route vers le Sud

15 novembre 2016 by Julian in Journal 2 comments
En route vers le Sud

15 novembre 2016, 19h45.

Je suis en mer, déjà au large des côtes Brésiliennes après avoir quitté Florianópolis la veille au matin. Le bateau avance bien. Du moins comme il peut avancer avec autant de barbe à la flottaison et de coquillages sous la coque. Une moyenne de 5,2 noeuds depuis le départ. Les couchers de soleil sont magnifiques ici, plus je prends du Sud, plus je sens que la lumière devient blanche. Plus brute.

Super lune ?

On me parle beaucoup de super lune. A la télé, sur internet. Je me souviens de l’éclipse de Super Lune l’année passée, j’étais au large du Cap Finistère en Espagne. Il ne me semble pas qu’on parlait de super lune durant mon enfance. Comment ça va être cette année ? La lune doit se lever maintenant dans moins de 10 minutes.

Comme le temps s’est écoulé depuis la dernière super lune… Je me plonge dans les souvenirs de cette année passée. J’ai tout quitté, ma vie, ma famille, mes amis, mon travail. J’ai perdu mes repères, mes certitudes. Je me suis reconnecté à mes rêves, mes idéaux. J’ai traversé l’atlantique en solitaire alors que six mois auparavant je ne savais pas régler une écoute. Etre seul au milieu de l’océan, me sentir totalement libre. Quitter un continent et arriver vers l’inconnu. J’étais si impatient de quitter le Cap Vert et de me retrouver seul avec mon bateau. 12 jours à n’entendre que le bruit de l’eau sur la coque, regarder voler les quelques oiseaux, laisser le temps s’écouler au point de l’oublier. Traverser l’atlantique vers le Brésil, ce n’est pas un challenge sportif, ce n’est pas que de la voile. C’est une renaissance. Une poignée de jours poussés par les alizés finissants, deux jours dans la lourdeur du pot au noir, vide et sans vie. Puis la première sensation de vent sur les joues, timide et hésitante. Sentir sur son visage les alizés de l’hémisphère Sud, voir la croix du Sud pour la première fois. Etre venu ici par soi-meme, par ses propres moyens, sur son petit bateau. Découvrir un nouveau monde, apprendre une nouvelle langue, aller jusqu’à s’oublier soi-même pour s’intégrer dans une autre culture, remonter des fleuves et découvrir des endroits sauvages et reculés où comme en mer le temps s’est arrêté.

Du Cap Vert à Rio de Janeiro en solitaire. Une redécouverte du monde, des gens, du voyage, de moi-même. Arriver comme une page blanche, lavé par la mer. Repartir riche d’amis, d’amour, de nouvelles idées, nouvelles sensations, nouvelle façon de penser. Quand la beauté des gens nous touche au point de devenir la nôtre.

Neuf mois après la traversée, me voici ici, à regarder au loin et attendre la super lune. Fini les tropiques. La nuit est fraiche. Le soleil vire au rose et met des heures à se coucher, alors qu’au niveau de l’équateur il tombait littéralement du ciel dans un lit orange. Je ne suis plus seul, 3 équipiers m’ont rejoint à Rio de Janeiro. Nous naviguons ensemble depuis quelques jours, je ne les connais pas. Ils ne connaissent rien à la mer, à la voile, aux bateaux. Nous sommes tous sur le pont à scruter l’horizon. Je suis content, ils n’ont pas l’air effrayés. L’alizé de Nord Est nous pousse vers le Sud, en forcissant parfois à 25/30 noeuds. La mer est sublime à regarder, car toute chahutée par trois systèmes de houle. Mais les équipiers tiennent bon. On dirait qu’ils ne souffrent pas trop de cette mer croisée peu confortable. C’est qu’on retrouve le système des dépressions. J’avoue que ça m’inquiète un peu, j’étais passé entre les gouttes dans l’hémisphère Nord, et depuis l’Alizé à été si doux avec moi, si bienveillant.

Nous nous dirigeons vers le grand Sud. Les 40èmes, les 50èmes, les Malouines, Ushuaia, les canaux de Patagonie. Depuis le départ de France, sur la route les candidats au grand Sud sont rares, et certains font demi-tour. De ceux que j’ai rencontrés je suis le seul dans les ports à poursuivre la route. Peut-être que plus au Sud je rencontrerai quelques intrépides.

Je ne sais pas si je suis fou. Cela me semble encore si lointain. Cette zone est-elle si mal famée ? Qu’allons nous rencontrer ? Est-ce raisonnable ? Avec des équipiers inexpérimentés ? Je n’en sais rien, j’entends un peu tout sur cette zone. Mais elle m’appelle. Il me faut aller là bas, aller voir par moi-même. Et je ne me sens pas en danger. Même si la mer me fait parfois peur, je lui ai promis de toujours la trouver belle. Ainsi, j’ai l’impression qu’elle me protège.

Je regarde le visage de mes équipiers. La distance des débuts, la timidité. Je ne sais pas ce qu’ils pensent. Que représente la mer pour eux ? Sentent-ils cette beauté de l’infini, qui pénètre et enivre, et ne lasse jamais ? Ils semblent heureux, le sourire aux lèvres. Je crois que la mer agit sur eux aussi.

La lune se lève. Ou serais-je à la prochaine super lune ? Je regarde la mer, je regarde le ciel. Je me dis que j’irais bien y mettre les pieds sur ce disque blanc qui semble à portée de main. J’oublie le temps, les gens à bord avec moi, j’oublie où je suis. Je ressens la joie de mon bateau, quand il est bien équilibré et qu’il engloutit les vagues en libérant une sensation de confort et de bien-être. Lorsqu’il rentre en résonance avec les éléments, et que tout semble avoir toujours été en parfaite harmonie.

La lune est maintenant haute dans le ciel. Il est 00H24. Je fais un point dans le livre de Bord « 31°18.6 S // 49°37.7 W, cap au 220, 1010 au baromètre, 20 noeuds ENE, Grand Voile à 1 Ris, Génois plein tangoné ». Je laisse mes équipiers à la Lune, à leurs quarts, et vais me coucher. Entre rêve et réalité, je parle à mon bateau, je lui dis que lui et moi, on va emmener ces gens dans le grand Sud, on va aller voir les Albatros géants. Que si la mer nous aime bien, elle nous fera passer par le Cap Horn. Je serais fier. Et puis lui et moi, on se retrouvera seuls et on ira voir cette fameuse houle du Pacifique. Est-elle si douce ? Et les Marquises, sont-elles aussi belles que dans les yeux de Brel ? Je n’ose encore m’imaginer. Tout cela m’appelle si fort.

« Tenter, sans force et sans armure, d’atteindre l’inaccessible étoile. »

2 comments on this post

  1. Daniela
    16 janvier 2017

    Merci pour tes textes qui me touchent vraiment. Merci de vivre tes rêves et surtout de nous montrer qu’il est possible de les vivres et surtout d’y croire, toujours, toujours, toujours. Bonne route Julian !

    Reply
    • Julian
      1 mars 2017

      Merci Daniela ! C’est toujours un plaisir de lire tes commentaires et encouragements 🙂

      Reply

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