Mon africanité

6 février 2016 by Julian in Journal 11 comments
Mon africanité

Je savais que quitter les Canaries tournerait la page européenne du voyage, mais j’ignorais que l’arrivée au Cap Vert ouvrirait un nouveau chapitre si différent, important. Inattendu. La traversée a duré six jours. Accompagné par mon vieil ami Léo, alias MAN, les jours passèrent au rythme de l’Harmattan, ce vent venu du Sahara qui transforma le bateau en caravane bédouine rouge de sable. Mais aussi des levers et couchers de soleil, de lune, des étoiles, et des quelques empannages pour tirer nos bords au grand largue.

J’ai tout entendu sur le Cap Vert et Mindelo, énormément de mises en garde : insécurité, misère et pauvreté, « tu verras c’est vraiment l’Afrique ». Voir même manque d’intérêt, ennui, rien à faire, à visiter, à manger.

Et pourtant, lors de notre arrivée nocturne, nous n’étions pas encore amarrés que déjà j’explosai : « j’adore le Cap Vert ! ». L’ambiance particulière, magique et chaleureuse de la baie de Mindelo éclaire la nuit et diffuse son flegme déjà quelques milles au large.

Le lendemain nous nous promenons en ville, et l’impression se confirme. Les gens sont souriants accueillants, chaleureux. Tout semble simple, les visages sont doux et gentils. Les rues sont pleines de charme, la vie est paisible. Les Cap Verdiens sont beaux et charmants. La nuit nous nous promenons dans ces petites ruelles « qu’il ne faut pas fréquenter » et à part échanger quelques poignées de mains, blagues et sourires, il ne nous arrivera rien.

Parfois on nous demande de l’argent. Et si on refuse ? « Ne t’inquiète pas mon ami, c’est pas grave si tu ne donnes pas ». Alors oui, il y a une part plus sombre. L’alcoolisme, le crack, les dealers, les prostituées. Pourtant pas moins souriants et abordables que les autres. Leur seul tort ? Peut être de moins se cacher que dans nos grandes villes… et encore… je me souviens des planques à cocaïne dans la terrasse du coffee à Genève, et du ballet des dealers pour planquer leur camelote lorsque les flics tournaient dans le quartier.

Nous passons quelques jours à nous balader dans Mindelo, visiter l’ile de Sao Vincente en taxi collectif, et petit à petit je commence à comprendre nos différences. Les rapports humains sont fraternels, amicaux, charmeurs, sensuels voir charnels. Tout le monde rigole, tout le temps. Le contact ici est facile, les gens ne se compliquent pas la vie.

Je ne vais pas me cacher : je n’ai jamais rien compris aux relations sociales dans ma « Franco-Suisse » natale. J’ai toujours été maladroit, à côté de la plaque, je n’ai jamais vraiment bien compris les relations « amicales », ni les femmes non plus. Tout ceci me semblait une entreprise bien compliquée, avec des règles bien établies que je n’ai jamais vraiment cernées. Au sommet de mon art, j’ai au mieux réussi à feindre une certaine aisance, mais qui demandait derrière le décor une machinerie pas possible pour fonctionner.

MAN, qui était déjà venu au Cap Vert dans le passé,  me dit « on va passer deux jours sur l’ile d’à côté, Santo Antão, tu vas voir tu vas kiffer ». Nous prenons le ferry et petit à petit l’ile volcanique apparait dans l’horizon. Au son des vomissements des Cap Verdiens, qui n’ont visiblement pas le pied marin, nous arrivons sur ce qui doit être la deuxième plus grande ile de l’archipel en superficie. Nous louons probablement la plus grosse voiture de l’ile, un pick-up 4×4 énorme rouge pétant, et traversons l’ile par la route de montagne. Moi qui ai le vertige, je suis servi ! Des paysages somptueux, vertigineux, des creux de mille mètres de chaque côté de la route. Le sud de l’ile, par lequel nous sommes arrivés est aride, alors que le nord est tropical : canne à sucre, bananiers, jungle… le contraste est saisissant.

Une fois dans les petits villages du nord, le contact avec les Cap Verdiens est encore plus simple et naturel qu’à Mindelo. Mindelo c’est « la ville », avec son stress, sa pollution, sa luxure. Ici nous flânons à droite à gauche, discutons en créole-portugais comme nous pouvons, échangeons quelques sourires, phrases, impressions. Rapidement nous prenons le rythme. Nos démarches se sont ralenties, nos mouvements plus amples, les pieds se soulèvent de moins en moins pour avancer, la barbe pousse. Nous nous asseyons de plus en plus souvent sur une marche ou une pierre à regarder un bananier ou un bout de mur coloré. Au début pendant quelques minutes, puis facilement une heure. Nous nous fondons dans la vie authentique des habitants de Santo Antão qui viennent rapidement nous parler. Même si nous ne nous comprenons pas, nous échangeons bien plus par les regards, sourires, mouvements du corps.

Le soir, nous restons avec un groupe de jeunes qui s’entraine pour le carnaval. Les garçons se jettent dans la boue et font des danses africaines, les filles regardent et rigolent quand ils font les imbéciles. Les Cap Verdiens sont très timides, et s’illuminent dès que l’on s’intéresse à eux avec de grands signes ou de grands sourires. Notre timidité nous empêchera de nous jeter nous aussi dans la boue et de danser, pourtant nous en avions vraiment envie !

Depuis tout petit, je regardais avec de grands yeux ces blancs qui aimaient l’Afrique et revenaient en vantant toutes ses vertus. Moi qui avais déjà du mal dans mon pays, le contact chaud, social et chaleureux me semblait être au delà d’un mont inaccessible, une autre planète.

Et bien qui l’eut cru… je me sens tellement à l’aise ici. Tout est si simple ! Ces règles que je n’ai jamais comprises n’existent pas. On exprime ce qu’on pense, ce qu’on ressent, sans appliquer filtres ou paradoxes. Les rapports sont simples, sains, chaleureux, séducteurs, presque candides ou naïfs.

Oui, il n’y a pas de « confort », les maisons sont petites et sommaires. Mais on s’en fout, ici on vit dehors. Chez nous les maisons sont tellement grandes qu’on en sort même plus. Le confort nous possède et nous enveloppe d’une couche adipeuse. Oui il y a de la misère, dans le sens d’une absence de confort. Mais ces gens vivent. Ils vivent ensemble, ils rigolent, ils partagent, s’amusent. Qui a dit que passer une matinée à regarder un bananier était de la misère ?

Du peu que nous ayons réussi à discuter, si les gens sont parfois tristes, c’est qu’ils jalousent le mode de vie et le confort occidental. Ceux qui s’en foutent sont heureux. Ils nous diront qu’il n’y a rien à faire ici et qu’il s’ennuient, mais je crois que si le bonheur avait un visage ce serait le leur.

Je ne pense pas que l’herbe soit plus verte ailleurs, je ne crois pas au paradis oublié. Chaque pays, chaque culture, chaque mode de vie à ses bons et mauvais côtés. Après, ils nous conviennent plus ou moins. En ce qui me concerne, le mode de vie occidental ne me plait pas. Ce qu’il m’apporte ne me convient pas, et le prix à payer est trop lourd. Et puis j’y comprends rien de toute façon.

Le Cap Vert est douloureux, car je découvre un autre monde qui me plait plus que l’ancien, et qui me force à couper les dernières amarres. Ces derniers fils qui me retenaient à ma vie d’avant. Les rêves passés, les espoirs futurs, les gens que j’ai aimés, ceux qui ne le savent même pas, et que je ne reverrais plus jamais. Il ne reste maintenant que les très proches, principalement ma famille et quelques amis de longue date, et pour eux heureusement il reste l’avion.

Tout le reste de ma vie tient dans mon bateau, et maintenant c’est moi qui parle de l’Afrique en en vantant toutes les vertus. Moi le petit blanc timide, qui n’aimait pas qu’on lui parle ou qu’on le touche, qui ne comprenait jamais rien aux rapports humains et pensait se complaire dans les rapports froids et distants de son pays d’origine.

Aujourd’hui je marche lentement, je souris à tout le monde dans la rue, je vais parler à tout le monde. Je ne suis plus en chaussures mais en tongues, et me demande si pieds nus ne serait pas encore mieux. Dans la rue on ne me prend plus pour un Français ou Allemand mais un Brésilien. Je ne suis pas encore le Sénégalais que je rêverais d’être, mais Brésilien c’est déjà un sacré pas en avant !

Alors j’ai commencé une liste secrète. La liste des vies possibles après le bateau. Une cabane à Santo Antão, avec quelques bananiers et plants de canne à sucre, une cap-verdienne pleine de charme, de malice et de sourires, un fils métisse à emmener à école où il n’apprendra rien d’autre que la vie de l’archipel et sera libéré dès ses 15 ans pour regarder lui aussi pousser les bananiers.

MAN a dû rentrer en Suisse, les larmes aux yeux. Je crois que lui aussi aimerait une cabane à Santo Antão.

11 comments on this post

  1. nocquet
    6 février 2016

    bonjour JULIANil ya longtemps que j’avais pris de tes nouvelles et c’est avec grand plaisir que nous partageons ton bonheur dans cette aventure mais attention de ne pas trop te cabosser.grosses bises et au plaisir de nouveaux commentaires.Gerard

    Reply
    • Julian
      20 mars 2016

      Bonjour Gérard, merci pour ton message ! Tout se passe pour le mieux, me voici rendu maintenant au Brésil ! Ça cabosse, mais pas trop encore 😉 Amicalement, Julian.

      Reply
  2. Barreri Brigitte
    7 février 2016

    Très beau récit plein de sensibilité et d’émotions partagées ! Merci et surtout tout cela sonne tellement juste.

    Reply
    • Julian
      20 mars 2016

      Merci Brigitte ! Nous aurons je pense beaucoup a partager lorsque nous serons bord à bord en Polynésie ! J’ai souvent des pensées pour Gérald depuis le départ de Mindelo. 30 jours c’est tout de même long !

      Reply
  3. Johann
    7 février 2016

    Bonjour,

    Tu ne me connais pas, mais nous nous sommes croisés à la Rochelle où j’ai pu visiter Wallis, depuis je te suis et je n’ai qu’une chose à te dire qui me vient à l’esprit : merci, pour ce que tu nous donnes.

    Reply
    • Julian
      20 mars 2016

      Bonjour Johann, c’est un vrai plaisir de partager cette aventure aussi avec des inconnus 😀 Il me semble me souvenir avoir discuté avec toi. En tout cas merci pour ton message ça fait plaisir !

      Reply
  4. Frédéric DEFOSSEZ
    7 février 2016

    Salut Julian, ici le Nooooord de la France, et on peut pêcher le marlin à Santo Antao ? Parce que là en te lisant et comme le dit Jean-Louis Aubert, tu l’as trouvé cet « Autre Monde » !!!!! On ressent dans ton récit la vrai définition du bonheur. La vrai Vie quoi !!!!! La notion du moment présent prend toute sa valeur et tu dois déguster chaque nouvelle expérience avec un grand plaisir. Merci de nous faire partager ton parcours. Bonne route et à bientôt sur le web. Bises nordistes !!!!

    Reply
    • Julian
      20 mars 2016

      Bonjour le Nord !!! Merci, c’est toujours un plaisir de lire vos commentaires !!! Oui oui ça pèche bien même !! Des amis en ont même pris un à la traine par hasard en voilier, toute une histoire 🙂 La vie est vraiment douce, comme tu dis un autre monde !

      Reply
  5. MILK
    10 février 2016

    YEAH! Ton écriture s’affirme à chaque post. C’est beau. Ca manque de photos. HEY! Tu le sais, je suis un homme d’images, qui vit ce qu’il voit! Bon j’aime bcp lire aussi alors je te pardonne cet écart grâce à ma grande compréhension de ta situation « visuelle précaire » 🙂
    Ou comment profiter de son expérience à fond.
    (c’est vrai ça, nous ne sommes pas obligé de tout capturer, de tout relater, de tout ego-centraliser. Le monde est tellement vaste que ce serait réducteur de se limiter, et bien peu respectueux de ne pas ETRE avec ceux que tu rencontre. Je ne peux que te comprendre!

    On va faire du list-sharing je sens 🙂

    Reply
    • Julian
      20 mars 2016

      Yo MILK and the Coco Verde Bossa Nova Orchestra !! Ouais les photos, j’avoue… ça passe un peu à la trappe… 😀 Mais je vais essayer de m’y remettre au Brésil. Tout est magnifique ici. Merci pour tes encouragements, je me prends de passion pour l’écriture, je pense que je vais creuser un peu plus le style. Je me demande même si c’est pas un moyen d’expression qui me convient mieux que la photo, cela laisse encore plus de place à l’imagination. Car depuis le départ se joue un vrai dilemme : en fait aujourd’hui le voyage est bien plus facile qu’autrefois, et beaucoup de contrées du monde sont accessibles à beaucoup de monde. Enormément de gens partagent sur internet à travers les réseaux sociaux. Toutes les photographies qui circulent sont magnifiques. Je me rends compte également que le monde est beau partout, les gens extraordinaires partout. Je me demande alors ce qu’il est plus utile de partager : la photo que tout le monde pourra prendre dans ces paysages que tout le monde visite, ou le récit d’une impression laissant le soin à l’imagination de chacun de créer son propre voyage, qui sera unique et personnel ? Je suis en train de travailler une sorte de compromis, mi-chemin entre les deux, mais il me faut travailler l’abstraction photographique afin de mieux illustrer le récit 🙂 Ouais… ça gamberge en mer ahah !

      Reply
  6. heybluebird
    17 octobre 2016

    Belle découverte ton blog. Et merci de nous faire partager cette belle aventure. je me retrouve dans ce que tu écris .. l’Afrique j’y suis arrivée il y a quelque années et je n’ai jamais pu la quitter. Car comme tu le dit si bien, on y a trouvé un nouveau monde qui nous correspond tellement plus que l’ancien…

    Reply

Répondre à Julian Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

instagram

Back to Top