Patagonie – avec Frank et Marleen

5 février 2015 by Julian in Reportages 1 comment
Patagonie – avec Frank et Marleen

J’ai rencontré Frank et Marleen pour la première fois au salon de la Rochelle en septembre, sur le stand Alubat. Je les avais contactés car ils vendaient leur Ovni 365, basé à Ushuaïa. A l’époque, le choix du voilier n’était pas encore fait, et mon coeur balançait fortement avec un Ovni 365. Celui de Frank et Marleen était très bien équipé pour les hautes latitudes, ce qui m’intéressait fortement. Nous organisons donc une visite, bloquons les dates, et je réserve les billets d’avion pour le mois de janvier prochain.

Entre temps, après beaucoup d’interrogations et de réflexions, avec Roxane nous optons pour un voilier neuf. J’informe Frank de ce choix, et puisque tout était déjà organisé pour le voyage, nous décidons de maintenir ma visite.

Et voici comment je me suis retrouvé le 10 janvier 2015 à marcher sur le ponton du Club Nautico d’Ushuaïa, pour embarquer à bord de Firiel pour deux semaines de navigation dans les canaux de Patagonie. Ushuaïa n’est pas dénuée de sens pour moi, et démarrer ce projet par cet endroit si particulier est un symbole fort. La terre de feu, les glaciers, le Cap Horn, tout ici a un goût de bout du monde et représentait pour moi la nature à l’état brut.

Nous quittons l’Argentine le lendemain même de mon arrivée pour nous rendre à Puerto Williams, point de passage obligatoire pour les formalités d’entrée au Chili. Après quelques heures à la voile dans le canal Beagle, nous nous amarrons à couple au Micalvi, le port le plus austral du monde ! Qui n’est pas tout à fait un port d’ailleurs, mais un vieux navire de commerce échoué.

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A l’intérieur un bar très cosy et légendaire pour les marins : c’est ici que se croisent tous ceux qui partent ou reviennent de l’Antarctique, du Drake, du Cap Horn ou des canaux. Aux murs, photos, signatures et fanions du monde entier, l’ambiance est toujours chaleureuse, et le français souvent parlé ! Nous visitons la petite ville de Puerto Williams, qui est beaucoup plus authentique que sa rivale Ushuaïa et faisons une superbe randonnée dans les alentours avec une vue magnifique sur le Beagle.

Frank et Marleen prennent vraiment soin de moi à bord. Je suis logé dans la cabine avant, dite « propriétaire », ils me concoctent de supers petits-déjeuners avec le célèbre dulce de leche et de la confiture artisanale de goyave du Cap-Vert (que je retrouverais aussi sur Saudade aux Bahamas ! Je ne sais pas si le confiturier a une idée du chemin que parcourent ses pots.), des repas succulents et équilibrés « entrée-plat-dessert ». La grande classe.

Coté navigation, ils sont partis de France en 2010, passés par le Maroc, le Cap-Vert, le Brésil, l’Uruguay et sont dans la région depuis déjà deux saisons. Je les soupçonne d’en être tombés amoureux. Ils sont montés jusqu’à Puerto Montt, pour ensuite revenir à Ushuaïa. Autant dire qu’ils connaissent le coin comme leur poche !

Pour notre périple, Frank propose de faire le tour de l’île Gordon par les glaciers et leurs caletas préférées. Les caletas ce sont ces petites baies abritées des canaux Chiliens, qui peuvent accueillir quelques voiliers, et parfois même uniquement un seul. Ce programme me plait, nous nous mettons en chemin et rejoignons notre premier mouillage : Caleta Letier. Ah le charme des mouillages sauvages en Patagonie, avec ces amarres amenées à terre, longues de plusieurs dizaines de mètres pour assurer le maintien du bateau. Ici les vents sont tellement forts que l’ancre seule ne suffit pas. Il nous faut rajouter deux amarres de 50m chacune que nous attacherons à un tronc d’arbre et un rocher.

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La nuit fut une des plus paisibles de ma vie. Nous étions seuls au monde, entourés par la nature sauvage, protégés du vent et des vagues par le relief et la végétation. Impossible de penser que plus loin, dans le canal, il y a plus de 35 noeuds de vent ! Nous tenterons le lendemain de poursuivre notre route vers l’ouest mais impossible, le vent de face sera trop fort, alors nous irons nous réfugier deux jours dans la baie de Yendegaia.

Je n’y perds pas au change. Cette grande baie est sublime. Entourée par les montagnes, elle forme une sorte d’estuaire où s’écoule l’eau de fonte des glaciers, remplie de micro-particules millénaires qui donnent une teinte laiteuse à la mer, laissant des dégradés de verts et de bleus. C’est à couper le souffle. Nous avons ici deux voisins, tous Français, un Boréal 47 et un Cachoeira, navire emblématique de l’architecte naval Jean-François André. Ce sont les deux des voiliers aluminium, dériveur intégral, conçus et préparés pour les hautes latitudes. J’avoue avoir eu un petit coup de coeur pour Cachoeira. Est-ce la sympathie de nos hôtes Jacky et Juliette, ou le bateau en lui-même, quoi qu’il en soit un apéro à bord avec leurs propriétaires aura suffi à me convaincre ! L’aménagement intérieur est très agréable, tout est ouvert : la cabine avant très spacieuse donne sur un coin salon/bureau qui est ouvert sur le carré panoramique et la cuisine sur la longueur. Le volume est  impressionnant.

Nous partons le lendemain en randonnée pour explorer les lieux, et remonter un peu la rivière. Frank et Marleen m’expliquent que cette zone appartient aux fondateurs de The North Face et Patagonia, et qu’il y a, avec le gouvernement Chilien, un projet de parc naturel. En voyant les panneaux neufs (trop neufs) nous souhaitant la bienvenue, nous ironisons un peu quant à l’avenir du site et imaginons les jet-skis pulluler dans une future base nautique accessible par bus, ferry, taxi, hélicoptère… Après quelques heures de marche et un peu de hauteur, la vue est tout simplement exceptionnelle. Pourvu que ce paradis ne soit pas gâché un jour.

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Nous ferons une tentative de départ le lendemain, mais sans succès. Les vents et courants contraires auront raison de nous et nous irons nous réfugier juste en face de Yendegaia, dans la Caleta Borracho. Deux jours d’attente pour que les conditions deviennent plus clémentes et que nous puissions rejoindre la Caleta Olla.

Ici, le canal se sépare en deux : Brazo Noroeste au dessus de l’île Gordon, et Brazo Sudoeste au dessous. Randonnée de quelques heures où nous apercevons les ravages causés par les castors qui détruisent des forêts entières pour inonder la zone. Le castor n’est pas une espèce endémique, mais a été introduit par l’homme, qui maintenant ne sait plus trop comment faire pour s’en débarrasser. Plus haut, nous apercevons un glacier, puis un lac, le tout surplombant la Caleta Olla où, au loin, nous voyons notre voilier mouiller. La vue donne sur une belle portion du Brazo Noroeste et l’île Gordon en face. Je suis époustouflé par les lumières rasantes de la région.

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Le 21 janvier, nous partons pour Seno Pia. Ici les glaciers se jettent directement dans la mer. Une journée entière à naviguer entre les glaçons, à entendre des coups de tonnerre quand des morceaux de glaciers se détachent puis tombent à l’eau, à rester subjugué devant le bleuté de cette glace millénaire. Le temps s’est complètement arrêté devant la magie du lieu. Dans ma tête, je pense au paradis blanc et reste hypnotisé, sans trop arriver à me convaincre que c’est la réalité.

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Le soir, nous irons mouiller à Cinco Estrellas, dans la plus petite caleta de notre périple ! Nous serons deux voiliers, obligés de se mettre à couple tellement l’espace est restreint.

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Le lendemain, nous rejoignons Coloane, pour une fin en beauté. Nous croisons sur notre route les dauphins qui joueront avec l’étrave, et un peu plus loin une majestueuse baleine à bosse. En arrivant à l’ouest de l’île Gordon, on est bercé pour la première fois par la houle du pacifique, légère, douce, au rythme d’une respiration calme. La brume commence à tomber, des rochers sortent de l’eau, l’ambiance devient tout à coup mystérieuse… on dirait la baie d’Halong dans le brouillard. A la place des jonques, pétrels et albatros nous accompagnent rasant les vagues du bout de l’aile. Sur l’eau, les pingouins, eux, préfèrent plonger dès que nous nous approchons trop.

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A peine sortis du brouillard, nous arrivons à Coloane, mouillons entre les arbres tombant sur l’eau. Il y a au moins cinq glaciers autour de nous, qui fondent par pleins torrents et cascades le long des falaises. Coupés du monde, en pleine nature, la lumière crépusculaire des hautes latitudes, le moment est presque irréel.

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Le lendemain, après un petit quart d’heure d’annexe, nous entamons une randonnée entre mousses et rochers pour atteindre le glacier le plus accessible. Majestueux. Je ne m’étais jamais approché autant d’un glacier, encore moins au point de le toucher.

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Dernière nuit à Coloane, loin du monde, de la civilisation, perdu en pleine nature.

Le lendemain matin, nous entamons notre trajet retour direction Puerto Williams pour les formalités de sortie du Chili. Escale à la Caleta Sonia où nous rendrons visite au gardien du phare, militaire de l’armada du Chili qui habite ici pendant 1 année avec sa femme et sa fille. L’école se fait par correspondance, un professeur doit venir faire passer les examens d’ici quelques mois. Ils nous offrent le thé, nous discutons des bateaux qui passent dans le canal, des baleines qu’ils ont vues depuis leur maison, de la vie ici, coupée de tout.

Après quelques jours d’attente à Puerto Williams, nous arrivons à Ushuaia. Le temps d’un dernier repas, de se remémorer les glaciers, les caletas, de rire sur Frank qui navigue en pantoufle par 40 noeuds de vent, de certains de nos accostages épiques, de partager ensemble pendant encore quelques instants notre passion.

Je repars les yeux émerveillés par ces paysages, par ces lumières, et en admirant une dernière fois la vue depuis l’avion, me dit qu’un jour je reviendrais bien ici.

1 comments on this post

  1. Mobé Bernard
    20 septembre 2016

    Bonjour

    J’aime beaucoup votre façon de relater votre vie maritime
    j’espère un jour pouvoir mettre les voiles moi aussi et toute ma volonté s’inscrit vers ce but que j’espère atteindre au plus vite.
    Vos photos sont superbes.
    Merci pour cet espace d’encouragement.
    Je dois pour la première fois aller au Grand Pavois de la Rochelle cette année.
    La magie de l’évènement aura peut être aussi pour moi l’effet d’un nouveau départ.

    Bernard. M

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